Les nourrices morvandelles |
Au milieu du XIXème siècle, certaines familles riches avaient fait la connaissance de jeunes femmes à l'occasion de séjours dans leurs résidences de campagne (même à l'époque, le Morvan n'était pas très loin de Paris). C'est pourquoi elles leur demandaient de venir nourrir et élever leurs nouveaux-nés. Les noms des "bonnes nourrices" se transmettaient ensuite de bouche à oreille. Dans la bonne société il était alors du plus grand chic d'avoir à la maison une nourrice morvandelle pour ses enfants. A la fin du siècle, elles représentaient plus de la moitié des nourrices parisiennes.
Après la naissance de leur propre enfant, les nourrices quittaient le Morvan, parfois avec lui, mais le plus souvent seules, pour venir s'installer dans la famille d'accueil, abandonnant pour un peu plus d'un an enfants, mari, famille. C'est que la "nourriture sur lieu" rapportait gros et pouvait dépasser le gain d'une autre "industrie" : la galvache.
Devant s'occuper des enfants de la famille, les sortir, les présenter aux relations et amis, les nourrices étaient très bien traitées. Elles portaient des vêtements de qualité, pouvaient même avoir un domestique, et suivaient la famille dans tous ses déplacements que ce soit à la mer, à la montagne ou à l'étranger.
Lorsqu'à la fin de l'allaitement (ou plus tard, si elle restait comme "nourrice sèche") la nourrice quittait Paris, c'était souvent le cur gros mais heureuse de retrouver ses enfants et sa famille. Elle avait en poche une belle somme d'argent qui allait lui permettre de faire quelques travaux ou d'agrandir la maison (qu'on appelait alors "maison de lait").
Ces femmes "sans cur" et "dévergondées" qui abandonnaient mari et enfants pour aller se vendre chez les riches ont été très critiquées à l'époque. Les correspondances retrouvées montrent que c'était rarement justifié, leur fidélité et celle de leur époux étant généralement exemplaire. A leur retour, en plus de l'argent, elles apportaient dans une campagne rude et renfermée sur elle-même une culture et des usages qui ont permis au Morvan de s'ouvrir au progrès. Elles ont aussi gardé des contacts, parfois pendant des dizaines d'années, avec les familles d'accueil. Ainsi, leurs "relations" leur permettaient de trouver des emplois à la ville à nombre de leurs parents.
Cette activité cessa peu après la Première Guerre mondiale.
A la même époque, étaient accueillis, dans le Morvan même, les "petits Paris". La misère poussait de nombreuses jeunes mères parisiennes à abandonner leurs enfants qui étaient alors recueillis par l'Assistance Publique de Paris. Ces enfants "de l'Assistance", comme on disait, étaient confiés par l'Administration à des familles résidant à la campagne. Une indemnité était versée pour payer la nourriture et l'entretien.
Près de 50.000 enfants furent accueillis dans le Morvan de cette façon par l'intermédiaire de bureaux de placement parisiens ou d'agences régionales comme celle de Château-Chinon qui plaçait environ trois mille enfants par an.
Les Morvandiaux étaient souvent pauvres et toujours à la recherche d'un complément de revenu. Mais la venue des enfants de l'Assistance était aussi l'occasion d'accueillir plus malheureux qu'eux et de donner leur affection sans compter. A l'époque, les familles étaient nombreuses (souvent une dizaine d'enfants) et une bouche de plus à nourrir ne se remarquait pas.
L'accueil était généralement "à vie" et les parents les traitaient comme leurs propres enfants. J'ai connu dans ma famille des oncles et des tantes dont le seul lien était celui du cur et que personne n'aurait eu l'idée de considérer comme étranger. On ne les reconnaissait guère que lorsqu'ils annonçaient fièrement "être nés à Paris".
Cette seconde forme de "nourriture" n'a jamais vraiment cessé et l'on peut encore rencontrer dans le Morvan des "enfants de l'Assistance".
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